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Le Doulos

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1962)

Le Doulos

Avec "Le Doulos", son quatrième film Jean-Pierre Melville a frappé un grand coup en établissant tous les canons de ses plus grands films à venir et en créant un film matrice qui a inspiré nombre de réalisateurs ultérieurs*. On peut même dire que "Réservoir dogs" le premier Tarantino en constitue un remake informel.

"Doulos" signifie en argot "chapeau" et "indic" comme l'explique l'avant-générique. Et si le scénario du film de Jean-Pierre Melville est écrit pour embrouiller l'esprit du spectateur, l'enjeu lui est limpide: "Qui est le traître?". Car le paradoxe Melville est parfaitement posé dans ce film qui nous plonge au cœur du marigot moral du milieu des flics et des truands tout en montrant comment ces derniers s'accrochent à un "code d'honneur" qui pourrait bien n'être qu'une illusion. "Pourrait" car le film distille une ambiguïté absolument remarquable tournant autour du personnage de Silien interprété par Jean-Paul Belmondo. Celui-ci est décrit comme n'ayant que deux amis, Maurice Faugel (Serge Reggiani), un braqueur tout juste sorti de prison et Salignari (Daniel Crohem), un inspecteur. Ce qui lui vaut la méfiance du milieu qui le prend pour un indic. Mais Faugel croit en la parole donnée et place sa confiance entre les mains de Silien. Tout le talent du réalisateur réside dans le fait que par le jeu de savantes ellipses dans le récit, on est amené à croire en la traîtrise de Silien puis à en douter sans que jamais on ait la réponse définitive. Faugel quant à lui raisonne d'une manière manichéenne. Il descend ou fait descendre ceux qui le trahissent tout en étant prêt à se faire tuer pour ceux qui lui restent fidèles. Pas étonnant qu'avec une telle morale ("je te tue ou je me fais tuer pour toi"), le film prenne des allures de tragédie antique où tout le monde finit par s'entretuer. 

Ce qui joue beaucoup dans la réussite du film réside également dans l'interprétation. Comme dans ses films ultérieurs, les acteurs ont un jeu minimaliste, "l'underplay" que certains ont cru inspiré par le jeu blanc des acteurs de Robert Bresson mais qui selon Jean-Pierre Melville a été inventé à Hollywood dans les années 30. "Le Doulos" est d'ailleurs un hommage au film noir américain des années 40 avec un jeu de lumières expressionnistes et un véritable fétichisme de la panoplie du gangster/privé, en particulier son chapeau que celui-ci contemple dans son miroir et ne cesse d'ajuster (dans "Le Samouraï", cela deviendra même un gimmick). En même temps, le jeu retenu pour ne pas dire inexpressif, le code d'honneur et l'abstraction géométrique (déjà présente dans "Le Doulos" notamment dans la séquence remarquable du générique) sont au cœur d'un nombre incalculable de films asiatiques dont Jean-Pierre Melville finira par assumer l'héritage tout en les inspirant fortement en retour. Si cette manière de jouer va comme un gant à Alain Delon (qui est d'ailleurs une icône en Asie), elle est plus surprenante chez Jean-Paul Belmondo plus connu pour sa tendance au cabotinage que pour la sobriété de son jeu. Mais excellement dirigé, il est parfait en homme inquiétant aux motivations indéchiffrables. 

* Il disposait d'un budget plus confortable que pour ses premiers films en raison du succès de "Léon Morin, prêtre" et avait créé ses propres studios ce qui lui garantissait une totale liberté artistique.

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