Sweetie
Jane Campion (1989)
"Sweetie" est le décapant et déstabilisant premier long-métrage de Jane CAMPION. Celle-ci n'était cependant pas une débutante et avait déjà construit un univers très singulier, ses courts-métrages en particulier fournissant une clé de compréhension essentielle de ses futurs films. Ainsi le palmé "Peel, exercice de discipline" (1982) repose sur les mêmes principes fondamentaux que "Sweetie": huis-clos familial étouffant, névroses, contraste entre le contenant/enveloppe/écorce (civilisation, culture, contrôle) et le contenu/substrat/terreau (nature, inconscient) etc.
"Sweetie" qui bénéficie d'un style fait pour susciter le malaise (par exemple des cadrages étranges, souvent décentrés et/ou en plongée qui ne laissent voir qu'une partie du corps) raconte l'histoire de deux sœurs aux tempéraments opposés mais qui ne sont en réalité que deux facettes de la même névrose familiale. La première, Kay (Karen Colson), pâle et maigre, est neurasthénique et frigide, elle a une peur bleue de la vie et en particulier de ce qui grouille sous le sol, autre façon de dire qu'elle est affreusement mal dans sa peau. Elle est particulièrement angoissée par les crevasses et les trous c'est à dire par toutes les fissures à travers lesquelles l'incontrôlé qui la terrifie pourrait jaillir (en cela elle est semblable dans sa peur de la sexualité à l'héroïne de "Répulsion" (1965)). Autrement dit c'est une personne parfaitement stérile qui s'est enfermée dans une cour intérieure bétonnée entourée de palissades pour survivre. Toute excroissance, tout jaillissement lui sont insupportables: elle arrache l'arbrisseau planté par son petit ami à qui elle se refuse et sa sœur doit casser un carreau pour entrer par effraction chez elle. Cette sœur, Dawn, surnommée Sweetie (Geneviève LEMON) est aussi ronde et exubérante que Kay est maigre et effacée. Maniaco-dépressive, capricieuse, obscène (Sweetie est tout aussi obsédée par les orifices que Kay mais au lieu de les éviter, elle les utilise avec une fureur orgiaque), infantile, elle détruit tout sur son passage telle une tornade et se comporte comme un gros bébé hystérique ne supportant pas la frustration. Elle vit dans un délire façonné par son père selon laquelle elle est une princesse et un génie promise à la gloire, délire matérialisé par une cabane dans les arbres, l'équivalent de la cour de Kay puisqu'il s'agit d'un univers tout aussi clos en plus d'être "perché". Sweetie ne survivra pas d'ailleurs à son "retour sur terre" alors que Kay au terme d'un road trip apprendra à vivre un peu plus en harmonie avec elle-même.
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