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Shutter Island

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (2010)

Shutter Island

Attention! Une histoire peut en cacher une autre. "Shutter Island" fait partie de ces thrillers paranoïaques en forme de films gigogne* reposant sur une mise en abyme (une mise en scène au sein de la fiction qui redouble celle du film lui-même) ce qui nécessite de le voir au moins deux fois pour l'apprécier pleinement. La première fois, on est guidé par le point de vue du personnage principal, Teddy Daniels (Leonardo DiCAPRIO très présent à cette époque dans les films en forme de labyrinthe mentaux) alors que la deuxième, on suit davantage celui du "chef d'orchestre" qu'est le Dr. Cawley (Ben KINGSLEY).

Même si à mon goût "Shutter Island" est un peu trop cérébral (je veux dire par là froid, désincarné), la virtuosité de la mise en scène ne peut que susciter l'admiration. La maîtrise de l'espace en particulier est remarquable. Comme le titre l'indique, le film est un huis-clos sur une île où le sentiment d'enfermement est omniprésent dès le départ avec une atmosphère oppressante (brouillard, tempête) et un système de clôture qui assimile d'emblée l'hôpital psychiatrique à un camp de concentration dans l'esprit de Teddy (on comprendra pourquoi plus tard). Néanmoins et c'est cela qui est remarquable, plus le film avance, plus le sentiment de claustrophobie du spectateur augmente au fur et à mesure que Teddy progresse dans une enquête qui à première vue est policière (disparition mystérieuse et indices laissant entendre que des expériences interdites ont lieu sur les patients de l'île) mais qui est en réalité psychanalytique (il progresse dans ses propres abysses ponctués de rêves qui nous permettent de reconstituer le puzzle de son passé traumatique). Les clés du mystère sont symbolisées par des forteresses a priori inexpugnables (le bâtiment C, le phare) qu'il parvient néanmoins à investir et dans lesquelles il fait des découvertes majeures. La question que la fin ouverte laisse en suspens est la suivante: va-t-il pouvoir supporter la vérité?

A cette double couche (policière et psychanalytique) s'en ajoute une troisième qui est historique. l'intrigue se déroule en pleine guerre froide, plus précisément dans les années cinquante où la paranoïa anticommuniste faisait rage aux USA avec le maccarthysme. Au nom de la doctrine de l'endiguement (du communisme), les USA ont commis des crimes d'Etat aussi bien à l'intérieur (chasse aux sorcières contre les présumés ennemis de l'intérieur) qu'à l'extérieur (coups d'Etat, assassinats pour conserver ou augmenter leur influence). Et dans la course à l'innovation technologique qui les opposait à l'URSS, ils ont "recyclé" dans le cadre de l'opération Paperclip plus de 1500 scientifiques nazis symbolisés dans le film par le docteur Naehring (Max von SYDOW) que Teddy assimile implicitement au docteur Mengele (réfugié en Amérique latine mais celle-ci n'était-elle pas la chasse gardée des USA?). Le traumatisme de Teddy a donc un double sens, individuel et collectif. Il symbolise la mauvaise conscience d'un pays qui n'a pas levé le petit doigt pour arrêter le génocide pendant la guerre et qui a ensuite offert un asile aux bourreaux afin de s'en servir dans ses objectifs de puissance. Tout comme "La Liste de Schindler" (1993), les victimes sont symbolisées par une petite fille qui ne cesse de dire à travers les réminiscences de Teddy "Pourquoi ne m'as-tu pas sauvée?"


* "Usual suspects" (1995) ou "Sixième sens" (1999) sont d'autres exemples de films célèbres où le spectateur suit une fausse piste avant qu'un retournement final ne lui donne les clés de la manipulation dont il a fait l'objet.

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