Reservoir Dogs
Quentin Tarantino (1992)
Le premier film de Quentin TARANTINO en tant que réalisateur est parfaitement représentatif de l'ensemble de son œuvre. La filiation avec son deuxième film "Pulp Fiction" (1994) est frappante que ce soit dans les personnages (des truands en costume sombre dont l'un, Vincent Vega semble être apparenté au Vic Vega de "Reservoir Dogs" joué par Michael MADSEN), sa narration éclatée façon puzzle (grandement inspirée du "Rashômon" (1950) de Akira KUROSAWA), ses longs dialogues d'ouverture disséquant la pop culture (l'analyse du texte de "Like a Virgin" dans "Reservoir Dogs", les différences entre fast food européens et américains dans "Pulp Fiction"), sa violence graphique, son juke-box d'enfer, véritable machine à recycler les standards vintage, son "plan-signature" en contre-plongée depuis le coffre d'une voiture.
Cependant "Reservoir Dogs" est un film bien plus fermé que "Pulp Fiction" (1994). Et ce pour au moins trois raisons:
- Le film est en grande partie un huis-clos théâtral qui se déroule dans un garage.
- Ce huis-clos en forme d'impasse mexicaine se dénoue en tragédie shakespearienne.
- L'absence d'échappatoire est renforcée par un casting 100% masculin et une intrigue 100% nihiliste (les personnages n'ont pas d'identité mais des surnoms, leurs relations sont délétères ou basées sur le mensonge).
Il existe néanmoins un décalage entre la tragédie que vivent les personnages et ce que le spectateur en perçoit, décalage lié au traitement ludique (certains diront jouissif) qu'en fait Quentin TARANTINO. Mais si le film est clivant (culte pour certains qui en redemandent, détestable pour d'autres qui ne supportent pas ce déferlement de vulgarité, de machisme, de racisme et d'hémoglobine), il n'est pas pour autant irréfléchi. D'abord parce que le film narre l'histoire de l'échec d'un casse (comme dans "L'Ultime razzia" (1956) de Stanley KUBRICK qui utilise également la narration éclatée) suivi d'un règlement de comptes qui se termine en massacre généralisé. On ne peut pas dire que Tarantino fait l'apologie du crime et des criminels, d'ailleurs ce sera la même chose dans les films suivants. Ensuite la manière dont la violence est filmée est paradoxale car elle n'est pas montrée frontalement (comme dans l'insoutenable "Salò ou les 120 jours de Sodome" (1975)) mais suggérée. Si la séquence dite du "découpage de l'oreille" est si marquante, c'est parce qu'elle fonctionne sur un décalage complet entre la légèreté de la musique et de la chorégraphie et l'horreur de la situation qui est celle d'un tortionnaire sadique s'amusant avec sa victime même si l'acte en lui-même reste hors-champ. Cet art du décalage est au cœur du cinéma de Tarantino. On le retrouve par exemple dans la séquence d'ouverture de "Inglourious Basterds" (2009) avec son nazi courtois et faussement badin prenant un verre juste au-dessus des juifs terrés qu'il vient débusquer."Pulp Fiction" (1994) en offre une belle variante avec l'histoire de la montre de Butch cachée pendant la guerre du Vietnam dans un endroit intime du corps humain pour ne pas tomber aux mains des ennemis.
Pour finir, "Reservoir dogs" est une illustration du flair de Harvey KEITEL pour choisir de tourner dans les premiers films de grands cinéastes (après "Who s That Knocking at My Door" (1967) de Martin SCORSESE et "Les Duellistes" (1977) de Ridley SCOTT). Il a d'ailleurs également produit le film ce qui l'a considérablement aidé à élargir son budget.
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