Leaving Las Vegas
Mike Figgis (1995)
"Leaving Las Vegas" est l'un des films qui fait le mieux ressentir ce qu'est le "blues" et au-delà les abysses de la dépression. C'est un film que certaines critiques (français) méprisent alors qu'il est d'une justesse terrible. Peut-être d'ailleurs ce mépris est-il lié justement à cette justesse terrible, viscérale, crue. L'auteur du roman qui a inspiré le film, John O'Brien était comme Ben, son personnage, un scénariste alcoolique et autodestructeur (il s'est suicidé deux semaines après la vente des droits d'adaptation de son livre) et la manière dont il décrit la déchéance de Ben s'en ressent. C'est viscéral. On est au plus près du corps, de l'esprit et du cœur d'un homme dont la santé comme la vie part en lambeaux. Et ce sans aucune complaisance. Car comme dans "Le Feu follet" (1963) et son remake "Oslo, 31 Août" (2011), Ben a choisi de mourir et sa résolution est irrévocable. Nulle mièvrerie, nulle pleurnicherie. Et Nicolas CAGE traduit tout cela de façon remarquable. Il y a du naturalisme dans son jeu, au point que l'on peut rapprocher "Leaving Las Vegas" de "L'Assommoir" pour la façon dont est dépeinte la progression de la maladie (les crises de manque ou les bouffées de violence par exemple) et la descente aux enfers qui va avec. Mais il y a aussi la palpable souffrance de l'âme qui l'accompagne dans sa dérive solitaire en raison du dégoût que celui-ci suscite autour de lui.
En effet le film est également puissant dans le jeu de miroirs qui se tisse entre Ben et son environnement. L'atmosphère décadente de Las Vegas dans laquelle il part se noyer dans l'alcool s'oppose à celle de Los Angeles où il a perdu tous ses cadres (travail, famille, amis). Et puis il y a son "alter ego", Sera (Elisabeth SHUE). Leur relation est au coeur du film. Elle est d'une logique implacable cette relation tant les personnes qui ont une faible estime d'elle-même sont attirées par celles qui leur ressemblent ou qui semblent être encore dans un état pire que le leur. Sera comme Ben est une solitaire, une âme errante, une fille perdue qui est rejetée de partout. Les nombreuses scènes où elle se fait chasser des lieux qu'elle occupe sont glaçantes, cette violence sociale étant aussi insoutenable que celles qu'elle subit dans sa chair en raison de sa condition de prostituée subissant la tyrannie masculine. C'est parce que Ben n'est pas en état de la dominer qu'elle envisage de vivre avec lui, juste pour "se tenir chaud", sans rien exiger en retour. Mais en dépit de la tendresse et de la compréhension mutuelle qui imprègnent leurs rapports, leur vie commune est sans issue et leur sexualité longtemps empêchée s'accomplit dans l'urgence du désespoir (ne parlons même pas de la vie sociale marquée par la stigmatisation, l'exclusion et l'errance). On est quelque part entre "Une journée particulière" (1977) et "Head-on" (2004). La superbe bande-son interprétée par Sting participe pleinement du climat poisseux et mélancolique qui imprègne le film.
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