Le Quai des brumes
Marcel Carné (1938)
"Le Quai des brumes" est le premier grand film du duo formé par Marcel CARNÉ et Jacques PRÉVERT. Avant la "gueule d'Atmosphère" et le "Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour", c'est le "T'as d'beaux yeux tu sais" qui l'a fait entrer dans l'histoire. Les beaux yeux de la toute jeune et magnétique Michèle MORGAN filmés en gros plan et célébrés par la gouaille du non moins charismatique Jean GABIN font oublier que "Le Quai des brumes" c'est d'abord une histoire d'insoumission. Il faut dire qu'il ne faisait pas bon filmer l'histoire d'un déserteur à la veille de la seconde guerre mondiale. Les studios de la UFA sous la botte nazie refusèrent le film qui devait y être tourné (pour cause de contrat liant Gabin à la firme) et en France, le représentant du ministère de la guerre demanda à ce que le mot qui fâchait ne soit pas prononcé. Donc tout se déroule dans le sous-entendu autour d'un personnage qui dérange loin de l'image du "cinéma de papa" que Marcel CARNÉ a ensuite incarné aux yeux d'une partie de la nouvelle vague et de ses héritiers.*
"Le Quai des brumes" est un parfait représentant de ce réalisme poétique qui fera la renommée du duo Carné/Prévert, créateurs d'une atmosphère unique: des dialogues désenchantés et percutants (dans un autre genre que ceux de Michel AUDIARD dont Gabin a été aussi un fameux interprète!), des images en gros plan ciselés à l'aide d'éclairages aussi beaux que ceux des photos Harcourt, des décors somptueux nimbés de pluie et de brume imaginés par Alexandre TRAUNER et des intrigues sombres placées sous le sceau d'une sinistre fatalité.
* Lorsque les Inrockuptibles ont publié leur classement des 100 plus beaux films du cinéma français, ils ont opéré une sélection dogmatique en ostracisant tous les films de Marcel CARNÉ. Pourtant la nouvelle vague n'était pas composée que de jeunes coqs désireux de s'affirmer en rejetant de façon systématique ce qui existait avant eux. Jacques DEMY qui est porté aux nues par toute cette clique snobinarde a pourtant manifesté son amour pour le cinéma de Carné et de Prévert en reprenant la célèbre phrase d' ARLETTY dans "Les Demoiselles de Rochefort" (1966), "Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un si grand amour".
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