Herbes flottantes (Ukigusa)
Yasujiro Ozu (1959)
Il n'y a pas que les cinéastes anglo-saxons qui ont fait un remake en couleurs dans les années 50 d'un de leurs anciens films des années 30 en noir et blanc (pour mémoire les deux exemples les plus célèbres sont ceux de Leo McCAREY avec ses deux versions de "Elle et lui" et Alfred HITCHCOCK avec celles de "L'homme qui en savait trop"). "Herbes flottantes" qui date de 1959 est en effet le remake par Yasujiro; OZU de son film "Histoires d'herbes flottantes" (1934). Comme pour ses homologues anglo-saxons, les deux versions sont tout à fait remarquables et témoignent à 20 ans de distance d'évolutions aussi bien techniques, esthétiques que sociétales dans un schéma repris à l'identique.
Le titre, "herbes flottantes" est une notion issue du bouddhisme qui signifie l'impermanence de toute chose. Celles-ci sont changeantes, évanescentes, flottantes, il faut accepter de lâcher prise pour se laisser porter par le courant plutôt que d'essayer de le contrôler. Sur la tombe de Yasujiro OZU qui était adepte du bouddhisme zen est d'ailleurs inscrit le kanji "mu" qui signifie justement "impermanence". Au sens strict, le monde flottant désigne les quartiers de plaisirs et de divertissements des grandes villes japonaises à l'époque d'Edo et toutes les activités qu'ils abritaient dont le théâtre kabuki. C'est donc ce dernier qui fait l'objet du titre du film d'Ozu. Une petite troupe vient en effet rendre visite à un village de pêcheurs 12 ans après son dernier passage. Ce n'est pas exactement la durée qui sépare les deux films d'Ozu mais cela permet de mesurer le temps passé. Outre l'utilisateur splendide de la couleur, les cadrages et la mise en scène admirables, la subtilité des sons et des variations d'atmosphère (les cigales japonaises au crissement entêtant sous le cagnard sont remplacées par le tintement des carillons qui accompagnent un regain de fraîcheur avant la tombée d'une pluie diluvienne), l'alternance de moments franchement comiques et d'autres beaucoup plus dramatiques, ce qui frappe dans ce film, c'est une crudité inhabituelle chez Ozu que ce soit en terme de violence ou de sexualité. Voir des amoureux s'embrasser ou passer la nuit ensemble était inimaginable dans les films en noir et blanc d'un cinéaste connu pour son extrême pudeur. On y voit d'ailleurs un fils s'affirmer par rapport à un père "loser", défaillant et plein de complexes, la famille restant le sujet privilégié des films de Ozu. Le film réunit par ailleurs la fine fleur des acteurs et actrices de l'époque, de Machiko KYÔ à Ayako WAKAO et il y a même un clin d'œil à Toshiro MIFUNE.
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