Les Chaussons rouges (The Red Shoes)
Michael Powell et Emeric Pressburger (1948)
"Les Chaussons rouges" est un chef d'œuvre d'art total. Tout y passe: la littérature avec l'adaptation du conte éponyme d'Andersen, la peinture avec l'utilisation éclatante et profonde de la couleur, la musique et la danse qui sont au cœur de l'histoire puisque le film repose sur la mise en abime de la création puis de la représentation d'un spectacle où art et vie se confondent, comme dans "Les Enfants du paradis" (1943). Et enfin le cinéma sans lequel le morceau de bravoure des dix-sept minutes de ballet dans lequel l'héroïne traverse les contrées fabuleuses et fantasmatiques de son imaginaire n'aurait pas été possible (pour mémoire seul Vincente MINNELLI a osé inclure dans son film un morceau de ballet d'une durée comparable dans "Un Américain à Paris") (1951).
"Les Chaussons rouges" fait par ailleurs partie des films matrices incontournables de l'histoire du cinéma. Et pas seulement parce qu'il fait penser à "Black Swan" (2010) dans le sens où il montre une ballerine se faire vampiriser par sa passion de la danse jusqu'à en perdre la raison et la vie. S'y rajoute le pacte faustien avec l'impresario Boris Lermontov (dont le double dans le ballet est le cordonnier tentateur qui fait danser la jeune femme jusqu'à ce qu'elle en meure*), fascinant personnage dont la folie intérieure est remarquablement retranscrite par Anton WALBROOK. Son incapacité manifeste à aimer (à commencer par lui-même comme le montre la séquence saisissante où il met un coup de poing dans son miroir) fait de lui un épouvantable tyran épris d'absolu qui détruit tout autour de lui, à commencer par l'amour qui unit sa danseuse vedette au compositeur Julian Craster (Marius GORING), union que l'on peut voir comme celle de la musique et de la danse. Comme Vicky (Moira SHEARER), Julian a passé une sorte de pacte méphistophélique avec Boris Lermontov qui s'est approprié son oeuvre. Comment ne pas penser à "Phantom of the Paradise" (1974) et son compositeur qui se fait voler ses créations et la femme qu'il aime par un producteur vorace? Brian De PALMA est un admirateur inconditionnel du film de Michael POWELL et Emeric PRESSBURGER tout comme la plupart des réalisateurs américains de sa génération avec une mention toute particulière pour Martin SCORSESE dont l'une des principales collaboratrices est la veuve de Michael POWELL, la monteuse Thelma SCHOONMAKER. Il a été également à l'origine de la restauration numérique du film et le cite quasiment dans toutes ses oeuvres.
* Thème que l'on retrouve aussi dans un autre conte d'Andersen, "La petite sirène" où celle-ci pour devenir humaine doit renoncer à sa voix et souffrir atrocement des jambes tout en dansant avec une gracieuse perfection. Et son échec à séduire la prince la condamne à la mort.
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