Jane Eyre
Cary Joji Fukunaga (2011)
Cette version de Jane Eyre (la dernière en date il me semble) ne manque pas de qualités, que ce soit dans la mise en scène ou dans l'esthétique. Mais elle passe à côté de l'essentiel. En effet en dépit des apparences, "Jane Eyre" n'est pas un roman facile à adapter parce qu'il n'est pas facile d'en saisir l'essence. Le nombre très élevé d'adaptations (plus d'une quinzaine!) plaide d'ailleurs en ce sens, il est l'expression d'une insatisfaction, d'une difficulté face à une histoire aussi insaisissable que son héroïne et celle qui lui a donné vie, Charlotte Brontë.
Ce qui pèche dans cette version ce n'est pas tant les coupes dans le roman (comment faire autrement pour faire tenir l'histoire en moins de deux heures?) que la vision complètement dévitalisée qu'il en donne. "Jane Eyre" se compose de contradictions, de reliefs et c'est un grand huit émotionnel autant qu'une passionnante (et surtout revigorante!!!) réflexion autour de la condition féminine, des rapports entre les sexes et de tout ce qui entrave leur épanouissement mutuel. Dans la version de Fukunaga, tout n'est presque que tourment, souffrance, dépression et désolation. D'ailleurs le choix de commencer l'histoire non par le commencement (c'est à dire par l'enfance qui dévoile l'échec des éducateurs victoriens à mater la nature rebelle de Jane) mais par sa fuite éperdue dans la lande pour échapper à la tentation de céder aux avances de Rochester après leur mariage raté va dans ce sens. Le jeu de Mia Wasikowska est certes sensible mais il manque de feu et de conviction, il manque aussi de cette naïveté émerveillée propre à la découverte de l’amour (tremplin de son évolution future) il est terne, monocorde. Jane Eyre est un caractère fort, puissant (au point de faire peur à tous les tenants de l'autorité qui la voient comme une sorcière) ce qu'elle ne retranscrit pas du tout. Et le courant ne passe pas vraiment avec son partenaire, Michael Fassbender qui a également du mal à exprimer combien Rochester est une généreuse et vulnérable nature sous ses comportements parfois détestables de "seigneur et maître". C'est bien dommage car son jeu est intéressant, par exemple à l'église lorsqu'il s'apprête à épouser Jane, sa nervosité retranscrit parfaitement à quel point il n'a pas la conscience tranquille. Ce qui manque en fait dans ce film c'est la dimension joyeuse, païenne, sensuelle, l'énergie, la verdeur, la tendre complicité de leur relation. Le roman est à l'image de toutes les saveurs de l'existence, le film n'en offre que le versant dépressif. Jane et Rochester ne sont pas des apparitions fantomatiques mais des êtres de chair et de sang (plutôt bouillant) qui se débattent pour sortir de la situation sans issue dans laquelle ils sont plongés, ou plutôt dans laquelle la société victorienne étriquée les plonge jusqu'à ce qu'ils parviennent à se créer leur propre issue. C'est aussi sans doute à cause de ce manque global de relief (qui provoque un ennui poli) que le personnage de St John (Jamie Bell) tombe un peu à plat. Il devait représenter une réelle alternative à Rochester mais dans une version aussi monochrome, c'est tout simplement impossible.
S'il fallait résumer en un exemple la vision tristounette que donne cette version, je citerais celui où Jane retrouve Rochester. Dans ma version préférée (celle de la BBC de 2006 qui a été tournée dans les mêmes décors mais qui a mieux su leur donner sens) elle s'accomplissait (comme dans le roman) autour d'un verre d'eau, symbole de retour à la vie. Ici elle s'accomplit autour d'un arbre en ruines. Cette vision est celle que Rochester a de lui à la fin du roman. Le film oublie juste de préciser que Jane lui dit que ça repoussera, juste un peu différemment*. Et Jane, elle s'y connaît en matière de résilience.
*Fukunaga a-t-il seulement compris le roman? J'en doute. Car ce même arbre mort qui apparaît dans une scène de renaissance, il le montre en fleurs dans la phase qui précède un mariage qui est en fait un leurre reposant sur des bases malhonnêtes et déséquilibrées.
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