Gabbo le ventriloque (The Great Gabbo)
James Cruze (1929)
"The Great Gabbo", le premier film parlant dans lequel a tourné Erich von Stroheim sous la direction officielle de James Cruze, un vieux routier du cinéma muet qui réalisait là son quatrième film parlant est un étrange objet hybride. Réalisé au tout début de l'ère du parlant, il se nourrit d'autres arts plus anciens, notamment le spectacle de foire, le music-hall et la comédie musicale de Broadway. Il était par ailleurs assorti d'au moins une séquence en couleurs qui est perdue. Enfin il est probable que Erich von Stroheim a réalisé lui même une partie des scènes (mais il n'est pas crédité pour cela car il était blacklisté à Hollywood à cause de ses extravagances en tant que réalisateur). Malheureusement les nombreux numéros qui parsèment le film ne s'intègrent pas bien voire pas du tout à l'intrigue ce qui entraîne pour le spectateur des tunnels d'ennui seulement atténués par l'hilarité que provoque les ridicules costumes de Frank (Donald Douglas), le rival de Gabbo. Mais en dépit de la platitude de la mise en scène et de l'étirement excessif du film par des numéros inutiles (sauf celui qui se déroule sur une toile d'araignée, suffisamment spectaculaire pour accrocher l'attention), Erich von Stroheim campe un personnage tellement saisissant qu'il justifie à lui seul le visionnage du film. Gabbo est en effet un authentique freak dans la lignée de "La monstrueuse Parade" de Tod Browning, un personnage de tragédie aussi pathétique que glaçant. Alors qu'il a tout pour réussir (une compagne dévouée qui l'aime, un numéro à succès qui l'amène à se produire sur une scène de Broadway) il va tout perdre en sombrant peu à peu dans la folie. La personnalité de Gabbo est en effet instable et duale, car il a transféré une partie de son âme sur Otto, sa marionnette qui ne le quitte jamais et à laquelle il donne vie par son talent de ventriloque. Otto qui apparaît comme un petit garçon innocent représente les meilleurs aspects de la personnalité de Gabbo: la tendresse, l'affection, la gentillesse, l'humour. Malheureusement en apparaissant comme doué d'une vie propre (on est parfois à la lisière du fantastique) il ne souligne par contraste que le négatif dans le personnage de Gabbo. Absolument odieux avec Mary sa compagne (Betty Compson) qu'il insulte et houspille à longueur de journée alors qu'elle ne montre envers lui que patience et dévouement, il finit par la chasser avant de s'autodétruire lorsqu'il comprend qu'il ne peut plus la récupérer et ce alors qu'il est pourtant au faîte du succès. La douceur du phrasé et la mélancolie du regard de Erich von Stroheim rendent cette chute particulièrement poignante.
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