Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)
Hiromasa Yonebayashi (2014)
"Souvenirs de Marnie" est sans doute le film des studios Ghibli que je préfère avec "Si tu tends l'oreille" (1995) de Yoshifumi Kondo en dehors de la filmographie des deux monstres sacrés que sont Hayao MIYAZAKI et Isao TAKAHATA. Le film a été assez sous-estimé lors de sa sortie parce qu'il a été jugé trop plan-plan comparativement aux fulgurances formelles des fondateurs du studios. Pourtant il s'agit d'une œuvre bien moins sage qu'elle ne le laisse paraître et qui se situe dans la continuité du studio (adaptation d'un classique de la littérature jeunesse britannique transposé au Japon, héroïnes et univers féminin). Le film se situe dans un entre-deux très inconfortable propice à l'ambiguïté. Celle-ci affecte l'espace-temps, l'intrigue se déroule entre deux rives et pendant les heures bleues, celles qui se situent entre chien et loup. Elle met en contact plusieurs niveaux de réalité, celle de l'instant présent et celle de la mémoire qui fait ressurgir les fantômes du passé dans le présent. Pendant une grande partie du film, une ambiguïté supplémentaire nous donne à croire que cette mémoire n'existe pas et qu'il ne s'agit que d'un simple rêve. Il faut attendre la découverte de vestiges du passé (le journal, le tableau) pour que cette piste se referme. Le film met en vedette deux adolescentes du même âge qui fonctionnent en miroir. L'adolescence est un âge marqué par l'instabilité, l'impermanence, y compris des sentiments. La relation entre les deux jeunes filles est donc particulièrement trouble d'autant que l'une, Anna est un garçon manqué et l'autre à l'inverse, une poupée blonde aux yeux bleus portant des anglaises et des robes à fanfreluches. Sans que nous nous en rendions compte d'emblée (puisque nous croyons au départ que les deux filles existent sur un même plan spatio-temporel) Anna réécrit en fait la vie de Marnie en se projetant en rivale de l'amoureux de cette dernière, Kazuhiko. Dans la scène du silo, lieu phallique par excellence qui s'oppose à la maison des marais plus féminine, elle se substitue même complètement à lui dans un dispositif qui fait en peu penser à celui de "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Une comparaison qui se renforce lorsqu'on découvre le lien filial qui unit Marnie et Anna, la grand-mère/la petite-fille et l'amoureux/l'amoureuse finissant par avoir le même visage.
Ce travail de brouillage des repères produit un effet paradoxal: il nous montre une histoire qui se répète et en même temps, il est porteur d'espoir. Marnie, Emily (le chaînon générationnel manquant) et Anna se transmettent les mêmes maux: abandon familial, manque d'amour, perte d'estime de soi, isolement, maladie/mort prématurée. Le retour de Marnie dans la vie d'Anna a un effet réparateur. Au Japon, monde "flottant", il n'y a pas de franche rupture entre le monde des morts et celui des vivants et les deux peuvent donc communiquer et mutuellement s'influencer. On peut imaginer Marnie enfin en paix et Anna allant de l'avant, même si la fin du film est un peu trop précipitée à mon goût.
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