Nuages flottants (Ukigumo)
Mikio Naruse (1955)
"Nuages flottants" est encore plus aride et pessimiste si possible que "Le Repas (1951)", du moins dans ses deux premiers tiers. C'est l'histoire d'un amour chaotique et asymétrique au long cours entre une jeune japonaise et un homme marié dans le Japon en guerre puis de l'après-guerre. A l'aide d'une superbe photographie et d'une narration dont la linéarité est entrecoupée de flashbacks, Mikio NARUSE raconte l'éclosion d'une passion dans une "parenthèse enchantée", celle qui voit se rencontrer les deux protagonistes en Indochine alors occupée par le Japon. Mais le retour à la dure réalité ne concerne pas que la survie dans les taudis du Tokyo d'après-guerre, il dissipe également drastiquement l'illusion amoureuse. Comme dans "Le Repas" (1951), le grand amour apparaît comme une chimère que le temps use jusqu'à la corde. A sa place, on voit naître dans la plus pure tradition du mélodrame une relation fondée sur une dépendance toxique. Yukiko (Hideko TAKAMINE) est une femme qui "aime trop" face à Tomioka (Masayuki MORI) qui lui "n'aime pas assez" pour reprendre la terminologie de la psychotérapeuthe Robin Norwood qui s'est penchée sur le problème des addictions amoureuses. Yukiko a commencé sa vie sexuelle par un viol incestueux qu'elle n'a jamais ouvertement dénoncé même si elle passe sa vie à faire "payer" son beau-frère en lui volant des biens puis de l'argent. Ayant intégré cette soumission à la loi masculine, elle accepte de subir les avanies de son amant dont la lâcheté et l'égoïsme se combine avec la muflerie. Séducteur et manipulateur, celui-ci rafle toutes les jolies filles qui passent à sa portée sans jamais se sentir responsable des conséquences désastreuses de son comportement irresponsable que ce soit le dépérissement de son épouse, la déchéance de Yukiko dans la misère et la prostitution, son avortement (dont on comprend qu'il a des conséquences irréversibles sur sa santé) ou l'assassinat d'Osei (Mariko OKADA) par son mari parce qu'elle était devenue sa maîtresse et avait fui pour le rejoindre. Tomioka ne revient vers Yukiko que lorsqu'il a besoin d'elle (pour lui demander de l'argent par exemple). Yukiko endure tout (ce qui entraîne quelques répétitions et longueurs) au point d'aller jusqu'au bout du sacrifice, c'est à dire suivre Tomioka dans ses déplacements jusqu'à la mort. Si la dernière demi-heure paraît plus apaisée, Tomioka acceptant qu'elle vive à ses côtés et prenant enfin soin d'elle, lui manifestant de l'attention et de la tendresse, il n'en reste pas moins qu'elle meurt seule. On peut même s'interroger sur la réalité de ce que l'on a vu car les hommes qui "n'aiment pas assez" sont des handicapés du sentiment incapables de changer. On peut donc penser qu'elle a fantasmé la sollicitude dont il fait soudain preuve à son égard. A moins que, comme dans "Breaking the waves" (1996) de Lars von TRIER son sacrifice masochiste ne fasse des miracles.
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