Key Largo
John Huston (1948)
"Key Largo" est un film insulaire. Il ne se déroule que dans des lieux clos et coupés du monde. L’hôtel de l’île de Key Largo frappé par la tempête est le principal théâtre de l’action (mot qui se justifie d’autant plus que le film est l’adaptation d’une pièce de théâtre) mais il ne faut pas oublier le dernier quart d’heure sur un bateau entre Key Largo et Cuba. Ce contexte de huis-clos dans des espaces de plus en plus exigus créé une atmosphère particulière, confinée, étouffante et oppressante et donc propice aux tensions exacerbées (les émissions de téléréalité reposent sur le même principe repris as nauseam). Bien qu’une dizaine de personnages se retrouvent enfermés dans l’hôtel et une demi-douzaine sur le bateau, le film est en réalité un duel entre deux hommes qui sortent de mondes révolus ravagés par la violence mais dont les choix vont s’avérer être aux antipodes. D’un côté le commandant Frank McCloud (Humphrey BOGART), vétéran de la seconde guerre mondiale désabusé et sans attaches, de l’autre le gangster Johnny Rocco (Edward G. ROBINSON) tout droit sorti des années de Prohibition qui rêve de devenir le nouveau Al Capone. Parce que Frank a trop fait l’expérience de la violence, il refuse de s’y laisser entraîner de nouveau, quitte à passer pour un lâche. Néanmoins sa relative indifférence cède progressivement le pas à de la compassion pour les victimes du gang dont il partage le sort que ce soit James Temple, le propriétaire infirme (Lionel BARRYMORE), Gaye Dawn la compagne alcoolique de Johnny (Claire TREVOR) ou un groupe d’indiens dont deux sont recherchés par la police. La belle-fille de Temple, Nora, objet de la convoitise de Johnny Rocco, représente évidemment l’espoir d’une renaissance ce que souligne sans ambiguïté l’un des derniers plans du film (Humphrey BOGART et Lauren BACALL rejouent ainsi devant John HUSTON leur rencontre quatre ans auparavant dans le « Le Port de l'angoisse (1944) » où la deuxième réussissait à ferrer un poisson particulièrement glissant). A l’inverse, Johnny Rocco qui est fermé à tout sentiment d’humanité apparaît au final comme un faible qui ne sait pas contrôler ses nerfs que ce soit sous l’effet de l’insulte ou des coups de boutoir de la nature contre laquelle il est impuissant en dépit de son flingue.
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