Gandahar
René Laloux (1988)
Au milieu des années 80, j'ai été très marquée par le tout premier récit du magazine "Je Bouquine" (qui a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire en 1985, une récompense justifiée au vu de la qualité de l'histoire). Ecrit par Robert Escarpit, il s'intitulait "L'enfant qui venait de l'espace" et mettait en scène la rencontre entre Isaac Asimov et son personnage, Suzan Calvin qui lui raconte une histoire sur elle qu'il ignorait. La créature qui échappe à son créateur est un thème archi-rebattu mais cette variante est particulièrement réjouissante. Dans les récits d'Asimov, Suzan est une vieille fille coincée et froide qui éprouve plus de sentiments pour les robots que pour les hommes. Dans ce récit, non seulement Asimov découvre qu'elle a une sexualité et une famille mais les dessins qui accompagnent le récit créés par Philippe Caza sont d'une très grande sensualité. Suzan amoureuse y apparaît très peu habillée et dotée de formes plantureuses.
C'est à ce niveau que ce situe le lien avec le troisième (et dernier) long-métrage de René Laloux, "Gandahar" réalisé à la même époque. Lorsque je l'ai vu, j'ai tout de suite su que les graphismes du film étaient de Philippe Caza: prédominance des couleurs froides bleues-roses-violettes y compris pour les teintes de la peau, hypersexualisation des personnages, formes généreuses, beaucoup de nudité ou de quasi-nudité (une mode à l'époque dans l'univers de la SF graphique car on pense également à "Cobra", le manga de Buichi Terasawa adapté en animé par Osamu Dezaki et où les femmes sont sexy et très peu vêtues.)
Le tout est associé à un brillant récit poétique, politique et philosophique (tiré d'un roman de Jean-Pierre Andrevon) dans lequel on reconnaît les thèmes fétiches de René Laloux: boucle spatio-temporelle, embrigadement totalitaire (hommes-oiseaux des "Maîtres du temps", hommes-machines de "Gandahar"), dangers de la technologie, droit à la différence (les transformés issus de mutations génétiques ratées sont des parias qui cependant vont jouer un rôle fondamental dans le sauvetage de "Gandahar" de ses propres dérives).
A noter que pour des questions d'argent, la production s'est effectuée en... Corée du nord! L'animation n'en a pas souffert, elle est sans doute la plus réussie des trois films de René Laloux. Mais en avance sur son temps, son génie n'a pas été reconnu à sa juste mesure. A l'époque, les esprits étaient particulièrement bornés en France en ce qui concernait l'animation. Les décideurs avaient décidé qu'elle devait être réservée aux enfants. Comme l'œuvre de Laloux n'entrait pas dans la case, ils lui ont coupé les vivres, nous privant sans doute de bien d'autres films magnifiques.
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