Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens)
Friedrich Wilhelm Murnau (1922)
Toute vie commence dans le sang qui accompagne la naissance et lorsque la mort est violente, elle se termine aussi dans le sang. Le sang symbolise à la fois la vie et la mort, le bien et le mal, la pureté et la souillure, le sacrement et le crime, il réunit dans une union étrange tous les contraires. Le sang est comme la couleur rouge, ambivalent : rouge clair, il est la vie, la force, le jour, l’action, la libération, rouge sombre, il prend le visage de la mort, du mystère, de la nuit, de la passion et de l’oppression.
Le plus puissant des mythes lié au sang est celui du vampire. Son origine remonte à la nuit des temps mais ses caractéristiques modernes ont été fixées par le livre de Bram Stoker, "Dracula" paru en 1897. Celui-ci ajoute en effet à toutes les ambivalences liées au sang celle de l'espèce, thème alors central dans la (pseudo)science du XIX°. Dracula est en effet mi-bête assoiffée de globules rouges, mi-aristocrate au "sang bleu". Et le film de Murnau, jalon essentiel de l'histoire du cinéma en est l'une des illustrations les plus fidèles même si pour une question de droits les noms et les lieux ont été changés. Quoique dans la version française en noir et blanc, les noms et lieux d'origine ont été depuis rétablis (sauf que l'épouse de Jonathan s'appelle Nina et non Mina).
La version de Murnau de 1922 n'est pas la première de l'histoire du cinéma mais c'est la plus ancienne qui a été conservée. Elle a tellement marqué les esprits que "Nosferatu" est devenu aussi célèbre que "Dracula" et a eu droit à un remake spécifique par Werner Herzog en 1979. Ce mot désigne en ancien slave "celui qui apporte la peste" (le terme de vampire serait lui apparu au XVIII° en Serbie et signifie chauve-souris, d'où l'équivalence fréquente avec cet animal). Car le vampire de par son pouvoir de contamination est celui qui propage la maladie, surtout lorsque celle-ci empoisonnait le sang (la peste bubonique débouchait sur une septicémie dans la plupart des cas). C'est ce qui conduira à la réactivation du mythe au temps du sida avec le "Dracula" de Francis Ford Coppola, très proche de Stoker et de Murnau. Et ce d'autant mieux que le vampire symbolise aussi bien la mort que le désir sexuel, la morsure étant un déplacement de l'acte sexuel lorsque celui-ci ne peut être montré directement. Chez Murnau qui était homosexuel, ce thème est sous-jacent mais bien présent étant donné que son vampire se repaît surtout de sang frais masculin (notamment celui des marins).
En distordant la réalité par un jeu d'ombres et de lumière, des accélérations et des ralentis quasi hypnotiques, des images positives et négatives, des filtres jaunes et bleus (dans la version allemande), Murnau nous immerge dans ce festival d'ambivalences. Son film appartient au courant expressionniste et exprime le surnaturel mais il a aussi quelque chose de naturaliste. Il est claustrophobique lorsqu'il nous enferme dans le manoir du comte ou sur le bateau (convoyeur bien connu de la peste). Et en même temps, il s'ouvre sur des horizons plus large et même dans une dimension cosmique. Les règnes animaux et végétaux ressentent l'approche du mal et le reproduisent. Le comte symbolise les ténèbres mais il est tué par la lumière symbolisée par Nina-Ellen, l'épouse de Jonathan-Hutter qui se sacrifie pour établir l'équilibre du monde menacé par les forces obscures. Murnau comme le reste de la société allemande a été traumatisé par l'hémorragie de sang jeune et vigoureux provoquée par la première guerre mondiale alors qu'une nouvelle peste se profilait, le parti nazi ayant été fondé en 1920 soit deux ans avant la sortie du film.
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