Storytime
Terry Gilliam (1968)
Storytime fait écho à la série anglaise « Don’t Adjust Your Set » (1967-1969) pour laquelle Gilliam a effectué de nombreuses animations du même genre, et annonce en même temps les sketchs animés qui ponctueront « Monty Python’s Flying Circus », série culte de la première moitié des années 70.
Storytime se compose de trois segments d'animation complètements déjantés qui annoncent l'oeuvre à venir, surréaliste, engagée, poétique, azimutée, sarcastique et iconoclaste. Si tous trois sont remarquables, mon préféré est le troisième, saccage jouissif de l'imagerie empreinte de religiosité naïve des cartes de vœux traditionnelles. On y voit les biches et les anges se faire massacrer, le traîneau du père Noël se faire poursuivre par une horde d'indiens, ce dernier kidnapper les enfants ou leur reprendre leurs jouets, les rois mages perdre le nord etc. Le tout dans un emballage des plus sarcastiques. Outre une virulente satire morale et religieuse, on peut discerner dans ce segment iconoclaste son goût pour le détournement des institutions, des traditions, des légendes et des contes. Les deux autres segments semblent encore plus absurdes mais parlent en réalité d'inégalités voire de lutte des classes. Le premier joue sur deux échelles et deux techniques différentes d'animation (dessin crayonné et collage) pour mettre en relation la vie d'un cafard et celle des êtres humains qui les écrasent. Le deuxième qui mêle également ces deux techniques nous raconte une histoire de mains et de pieds qui s'émancipent de leurs maîtres mais qui reproduisent leurs inégalités sociales, les premières snobant les deuxièmes considérés comme inférieurs. Ajoutons que le passage d'un segment à l'autre se fait sans solution de continuité. On saute du coq à l'âne ce qui renforce le caractère absurde de l'ensemble (cela fait penser au générique de Sacré Graal).
Les influences de Gilliam qui s'expriment ici vont de Harvey Kurtzman (Mad Magazine) aux photomontages dadaïstes de John Heartfield en passant par Stan van der Beek et son film d'animation sarcastique et surréaliste Death Breath. Gilliam deviendra lui-même une influence majeure de la série South Park et il participera lui-même à un épisode. En France, la filiation de Gilliam se situe pour l'aspect poétique plutôt chez Caro et Jeunet et pour l'aspect absurde et satirique chez Dupontel (il appaaît dans plusieurs de ses films). Des films en prise de vue réelle mais qui ont un indéniable aspect cartoonesque.
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