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Le jour du vin et des roses (Days of Wine and Roses)

Publié le par Rosalie210

Blake Edwards (1962)

Le jour du vin et des roses (Days of Wine and Roses)

Un film très moderne, d'un réalisme cru qui traite l'enfer de l'addiction, ses causes et conséquences avec beaucoup de justesse. On connaît Blake Edwards sous l'angle de ses comédies loufoques. On sait moins qu'il a longtemps souffert d'alcoolisme et de toxicomanies et qu'il connaît donc bien le sujet dont il parle.

Bien que le début du film se situe dans un registre assez léger, celui de la comédie sentimentale, des éléments de critique sociale instillent d'emblée le malaise, créent une atmosphère glauque. Il y a par exemple la tristesse et la solitude, pesantes, dès le premier rendez-vous du couple Joe/Kirsten. Ils ne se regardent pas, plongés en eux-mêmes et pendant que Joe s'imbibe déjà d'alcool, Kirsten, fascinée par l'eau sale qui stagne au bas du pont "attend le monstre marin qui l'entraînera dans les profondeurs". Une manière de souligner leur fragilité et l'attirance de Kirsten pour celui qui l'entraînera dans l'enfer de l'alcoolisme. Il y a aussi les cafards qui pullulent chez elle, le dégoût et la déprime liés à leurs métiers respectifs qui les rabaissent (elle secrétaire-potiche-proie sexuelle lui chargé de relations publiques-maquereau pour les soirées mondaines de ses clients), les allusions aux carences affectives de leur enfance. Bref derrière les similitudes avec La Garçonnière de Billy Wilder tout est en place pour un basculement dans la tragédie domestique naturaliste façon Émile Zola filmée façon Cassavetes. Un des aspects les plus remarquables du film est la démonstration des ravages du ménage à 3 (homme-femme-alcool) qui empêche toute intimité et renvoie chacun plus que jamais à sa solitude et à sa dépendance. La déchéance physique et psychologique de Joe donne lieu à des scènes d'une rare puissance comme celle où réduit à un organisme animal en manque il détruit une serre ou bien celles où il est sevré de force (on pense à l'Assomoir, Jack Lemmon démontrant une fois encore qu'il est une bête humaine de cinéma dévorant tout sur son passage). La déchéance de Kirsten (sexuelle notamment) est en revanche plus suggérée que montrée, censure oblige. Mais la pire des tragédies est celle que ces deux là s'infligent, la façon dont chacun vampirise l'autre pour l'entraîner toujours plus bas dans sa chute. Joe initie Kirsten à son vice puis la manipule pour qu'elle l'accompagne dans ses beuveries. Une fois accro, Kirsten agit de même chaque fois que son mari tente de se sevrer (l'occasion de séquences didactiques avec les AA). Pour s'en sortir, Joe doit renoncer à Kirsten comme il doit renoncer à l'alcool et ses nombreuses rechutes laissent planer le doute sur sa guérison. Un espoir demeure toutefois. L'enfant du couple, négligé et maltraité durant des années comme ses parents l'ont été eux-mêmes semble être la raison profonde de la prise de conscience de Joe alors que sa femme ne manifeste jamais la moindre envie de s'extraire de son vice et de sa place d'éternelle enfant. Le taciturne et taiseux père de Kirsten, un personnage omniprésent dans l'ombre de sa serre semble détenir de biens lourds secrets qui ne nous seront pas révélés mais vis à vis duquel Joe finit par s'émanciper. Il lui paye ses dettes et lui reprend l'enfant vis à vis duquel il n'a jamais été totalement indifférent. En prenant enfin soin de lui, c'est son propre enfant intérieur qu'il soigne.

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